vendredi 24 mai 2024

La démocratie congolaise sur l’étal de crucifixion de l’UDPS. Entre rêves et réalités politiques !

Le multipartisme congolais aurait-il pris l’avenir du pays en otage? La prolifération incontrôlée des partis politiques au Congo ne rassure plus la démocratie, au contraire, à voir son mode opératoire, elle constitue une réelle menace pour l’avenir politique de la république. Les partis politiques sont créés sur un fond de critères de moins en moins républicains. Autant ce pays fait face aux groupes armés qui choisissent la violence pour faire des revendications (il)légitimes, mettant ainsi à mal le fonctionnement de l’Etat, autant ces partis politiques sont une autre forme de groupe armé qui utilise une autre forme de violence, douce mais aussi fragilisante et destructrice de l’Etat congolais. L’Etat congolais est en situation d’effondrement silencieux et progressif. Les formations politiques congolaises constituées ont–elles encore des arguments pour convaincre les citoyens de ce qu’ils sont ou de ce qu’ils rêvent pour l’avenir du pays ? Il y a une forte contradiction entre ce qu’ils professent être en puissance et ce qu’ils sont réellement en acte.

Depuis la libéralisation de l’espace politique du Zaïre par le maréchal Mobutu le 24 avril 1990, la constellation politique congolaise est achalandée par plusieurs organisations politiques, souvent saisonnières, selon le cycle électoral, chacune se réclamant d’une idéologie salvatrice du changement, d’autres se déclarant presque messianique pour le Congo de Lumumba. A chaque échéance électorale, la maternité des partis politiques au Congo se porte bien. Beaucoup naissent et disparaissent aussitôt les élections passées. Mais la véritable question est : finalement à quel parti faut-il croire ou ne pas croire après l’expérience de quatre cycles électoraux déjà organisés ? On le sait, en termes de propagande ou de populisme politique ambiant, il n’y a pas moyen d’échapper. On dirait que c’est de l’envoutement populaire ou pour reprendre les termes du sociologue français, Maurice Duverger, un véritable viol de la foule.

De tous ces partis politiques créés à l’occasion du multipartisme politique, s’en trouve un qui s’appelle l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UDPS en sigle, crée par les treize parlementaires frondeurs du parti unique, le 15 février 1982 : Gabriel Biringanine Mugaruga du Kivu, Charles Dia Oken-a-Mbel de Bandundu, François Lusanga Ngiele du Katanga, Paul-Gabriel Kapita Shabangi du Kasaï Occidental, Walter Isidore Kanana Tshiongo a Minanga du Kasaï Oriental, Célestin Kasala Kalamba ka Buadi du Kasaï Occidental, Oliveira da Silva Antoine Gabriel Kyungu wa ku Mwanza du Katanga, Protais Lumbu Maloba Ndibu du Katanga, Anaclet Makanda Mpinga Shambuyi du Kasaï Oriental, Etienne Tshisekedi Wa Mulumba du Kasaï, Joseph Ngalula du Kasaï et Mbombo Lona.

Les treize courageux hors norme de l’époque décidèrent de créer ce parti en signe de protestation contre la répression, par l’armée zaïroise, en juillet 1979, de creuseurs artisanaux à la recherche de diamants à Katekelay (Kasaï oriental). A cette époque l’exploitation du diamant n’était pas libéralisée. Les treize parlementaires s’étaient distingués en protestant contre la mort de quelques 300 creuseurs. Pour ce faire, ils seront condamnés à 15 ans de prison.

Ce parti devint donc au fil des années l’incarnation de l’opposition politique farouche contre la dictature de Mobutu. Depuis la conférence nationale souveraine en 1991 jusqu’il y a peu, les gens ont cru en lui et en ses discours politiques dans lesquels il faisait passer une vision impressionnante de son combat politique. L’occasion d’accéder véritablement au pouvoir pour démontrer ce dont il était capable ne lui étant jamais donnée, il s’est fait porter par le peuple comme un parti de masse. Comme on dit: "A bon menteur qui vient de loin". Etienne Tshisekedi prit peu à peu l’ascendant et devint le leader du parti. Les Congolais l’ont surnommé le sphinx de Limete, référence faite à l’avenue où il a résidé toute sa vie d’opposant mais aussi à ses prises de positions assez radicales rencontrant la volonté populaire vis-à-vis de la dictature en place.

Rêve ou rendez-vous manqué de l'UDPS?


Quarante-deux années après, l’UDPS est au pouvoir depuis cinq ans et plusieurs questionnements se posent désespéramment à ceux qui ont cru en elle. Comme qui dirait : les plus grands parleurs politiques ne sont pas toujours les plus grands faiseurs. Eh oui, le temps rattrape tout, mensonge ou vérité, rien n’échappe au temps…

Union pour la démocratie et le progrès social : qu’est-ce qui reste de cette union, de cette démocratie et de ce progrès social tant rêvés sinon l’ombre perdue de tout cela?
 

Sur le plan de l'union


Ce parti est aujourd’hui un dragon à plusieurs têtes désarticulées, multicolores et difformes. Il est miné par le manque d’un véritable leadership fidèle à sa vision fondatrice. Cette situation s’observe globalement sur tout le parti mais aussi singulièrement à l’intérieur de ses différentes tendances concurrentes et opposées. Une véritable et totale confusion idéologique et structurelle. Un royaume divisé contre lui-même est condamné à disparaitre. L’UDPS disparaitra-t-il ? A l’allure où vont les choses, les faits de sa gouvernance, de son organisation et de son fonctionnement pourraient amener de croire qu’il pourrait politiquement disparaître et ne rester finalement que l’ombre d’elle-même.

Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila, une formation politique beaucoup plus jeune mais avec une expérience de gestion des affaires de l’Etat de près de 20 ans, serait-il en train de tirer ses révérences ou attend-il de renaitre de ses cendres en 2028 ? Pas si évident que ça.

Aujourd’hui, le parti présidentiel connait plusieurs factions : l’UDPS/Tshisekedi la plus en vue et au pouvoir depuis décembre 2018, l’UDPS/Kibassa en passe d’être avalée par la première, l’UDPS/Le Peuple de l’ancien conseiller d’Etienne Tshisekedi, Valentin Mubake et l'UDPS/Tshibala qui détient le label après une décision de justice controversée. Toutes se réclament détenteurs de l’idéologie des pères fondateurs, les 13 commissaires du peuple souligne un article d’Afriwave. Au sein de l’aile au pouvoir, c’est-à-dire l’UDPS/Tshisekedi, il y a à boire et à manger. L’opinion a hâte de repérer ou de localiser le véritable centre des décisions : est-ce les organes constitués du parti ou bien la famille biologique du Président de la République. Le doute s’estompe quand on voit étonnamment les vénérations rendues à la mère biologique du président de la république, la femme de feu Etienne Tshisekedi devenue incontournablement la distributrice des cartes. Les pratiques moyenâgeuses remplacent progressivement les pratiques démocratiques au sein du parti. Pour être recruté ou se maintenir à un poste politique, il faut se rassurer du soutien de la famille biologique du président, en tout cas de la mère du président, maman Marthe Kasululu. A quel prix ? Seuls les anges du ciel pourraient bien nous y renseigner.

Mais comme le dit si bien Etienne de la Boétie dans son petit livre intitulé "Discours de la servitude volontaire": "C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug…"

"Deux hommes, ajoute-t-il, et même dix peuvent bien en craindre un; mais que mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme, cela n’est pas couardise. C’est cela la servitude volontaire."

Du point de vue de la démocratie


Quelle démocratie pourrait-on espérer d’un parti au pouvoir avec des pratiques anti-démocratiques et moins républicaines comme l’UDPS actuellement ?

Depuis et pendant cette longue période d’attente (plus de cinq mois déjà) de la mise en place d’un nouveau gouvernement, après les élections du 20 décembre 2023, on voit défiler devant la reine-mère du « royaume udpsien », la mère biologique du président de la république, toutes les hautes personnalités politiques des grandes institutions de la République: le Sénat, l’Assemblée nationale, la Justice, l’Armée, les Secrétaires Généraux et présidents des partis politiques, les ministres et même la première ministre récemment nommée, madame Judith Tuluka, tous devant chez elle, certains se mettant à génuflexion pour se faire bénir par elle, un véritable culte de personnalité. La mère du président, sa femme ou ses frères sont-ils devenus une autre ou la première des hautes institutions de la République ?

Bien plus, autour du chef de l’Etat, c’est du pareil au même. On voit apparaître certaines pratiques de l’ère Mobutu et même pire, qui ternissent l’image du pays.

La tribalisation du pouvoir autour du chef conduit vers une sorte de déification. On attend des jargons tels que "pouvoir na biso baluba" pour dire "c’est notre pouvoir nous les balubas", pourtant en tout et pour tout, tous les balubas ne se retrouvent pas dans ce pouvoir ni dans ses maladresses politiques. Des pratiques caricaturales qui perdent l’estime du pouvoir ainsi que celle de la fonction politique.

Pendant ce temps un parti qui se dit démocratique, annonce déjà ses intentions de réviser les articles verrouillés de la constitution, le nombre et la durée de mandat, le mode d’élection,…

Cette tentative de toucher à la constitution avait couté cher à Joseph Kabila, entrainant des violations graves au droit de l’homme et un désaveu public; on ne voit pas bien aujourd’hui ce qui pourrait le faire passer pour un régime qui n’a pas des pièces à convaincre le peuple congolais.

Et le progrès social...


Pendant les décennies qu’ils n’étaient pas au pouvoir, ils ont promis monts et merveilles au peuple congolais. "Le peuple d’abord" ont-ils vivement scandé. Le peuple les a crus. Ce slogan a arraché la conviction et l’adhésion du peuple mais cinq ans de pouvoir plus tard c’est le désenchantement qui risque de conduire au désamour. On croit que "le peuple d’abord" s’est transformé en "le peuple à bord…". A bord de l’union, à bord de la démocratie et à bord du progrès social promis avec autant d’intensité et de conviction jusqu’à n’en pouvoir douter. Entretemps, l’industrie des promesses démagogiques n’a jamais tari : si ce n’est pas faire du Congo l’Allemagne de l’Afrique, c’est promettre de manger trois fois par jour, de faire des congolais des millionnaires, de déplacer le quartier général à l’Est pour juguler définitivement l’insécurité de sorte qu’à la moindre escarmouche, on soit capable d’atteindre Kigali sans faire de combat terrestre, etc.

Pendant ce temps l’insécurité à l’Est se porte à merveille, les peuples toujours meurtris, le pays est pillé et décapité de ses deux territoires stratégiques : Masisi et Rutshuru, etc.

L’opposition politique est quasi inexistante, morfondue, désorganisée répondant aux mêmes logiques que tous les partis politiques de la majorité présidentielle tels qu’évoqué dans les premiers paragraphes de ce texte. Aucune ligne idéologique: tantôt à droite, tantôt à gauche, selon la direction du vent, impossible de les distinguer et de les séparer des partis. Ils sèment à tout vent, ils mangent ensemble et se soucient moins du peuple qui devient le dindon de la farce.

On les aura tous essayé de l’opposition comme de la majorité en matière de gestion de la chose publique mais rien ne s’est amélioré, ils sont tous les mêmes. Il va falloir une révolution démocratique défiant tout formalisme politique afin de sauver la démocratie congolaise de toute prédation, qu’elle soit capitaliste ou néocolonialiste. On peut tromper une partie du peuple une fois mais on ne pourra jamais tromper tout le peuple tous les jours. Le train de la démocratie a commencé il y a trente-quatre ans en République démocratique du Congo. Qu’on le veuille ou pas, il continuera contre vents et marées et ne s’arrêtera plus jamais. Il recevra certes des coups mais qui ne lui seront pas mortels. On cherchera en vain de la crucifier mais hélas, plus de cent millions de Congolais aspirent à la démocratie authentique. Il sera donc difficile d’étouffer ces millions d’espoirs démocratiques.

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