dimanche 8 janvier 2017

Pourparlers politiques en RD Congo: Volte-face

48 heures après la signature d’un accord sous la médiation des évêques catholiques.
Un espoir brisé à l’aube de 2017 en RD Congo.


A Bukavu, dans l’Est de la RD Congo, la première messe de ce 1er janvier 2017 est traditionnellement lue par l’archevêque métropolitain (Mgr Maroj) qui, ce jour, au cours de son homélie, en a profité pour informer les fidèles catholiques de l’aboutissement plus ou moins heureux des négociations politiques chapeautées par la CENCO à Kinshasa. Il a rassuré son auditoire: les choses étaient sur de bons rails malgré quelques velléités des politiciens qui tirent chacun de leur côté pour arracher un maximum de concessions à l’autre parti... Alors que la déclaration de la Conférence épiscopale des évêques, optimiste, estime, elle, que le compromis politique dégagé règle une grande partie de préoccupations. Vingt-quatre heures après cette homélie, la majorité présidentielle vient de se rebiffer. C’est carrément un revirement, mieux dire, un retour à la case départ.
Dans un article précédent, CAPSA-GL avait déjà publié une analyse de ces convocations quasi-rituelles de longs "dialogues", "états généraux", "conférences", "séminaires", "ateliers" et autres "consultations" qui n’en finissent pas. Ce dernier épisode nous donne encore raison, hélas…

Alors qu’à ce stade(1), un nouveau compromis pour la gestion consensuelle de la RD Congo, "Opposition et majorité", venait d’être ratifié sous les auspices des évêques catholiques (compromis qui aura quelque peu atténué voire désamorcé les vives tensions dans le pays), c’est maintenant au tour du camp de la majorité présidentielle de le rejeter après moins de 48 heures de vie. Ce dernier compromis, pourtant fruit d’âpres négociations et de concessions tant de niveau national qu’international, avait le mérite d’avoir rapproché un plus grand nombre de protagonistes...
Mais à son tour, la majorité présidentielle dénonce sa non-inclusivité, et ses aspects anticonstitutionnel, sous l’argument qu’il a verrouillé la route à une éventuelle modification de la constitution et à la tenue d’un quelconque référendum pendant la transition… (La majorité présidentielle s’appuie sur l’article 5 de la Constitution qui dit que le peuple s’exprime soit par l’élection soit par voie référendaire).

C’est après avoir signé ledit accord que les signataires de la majorité présidentielle viennent proclamer dans les médias que la CENCO a outrepassé son mandat en se rendant souveraine et qu’elle n’avait pris en compte que les revendications du rassemblement de l’opposition.
Malgré cela, la médiation reste confiante. Elle signe et affirme qu’il ne reste plus que de petites retouches portant sur des modalités de mise en œuvre et que les pourparlers se poursuivront jusqu’au balisage de la totalité des préoccupations. Entre autres questions de cet agenda post-signature, on retrouve notamment la constitution d’un autre gouvernement en remplacement de celui de Samy Badibanga qui n’aura que moins d’un mois ou la constitution de l’équipe de suivi de la mise en application de l’Accord signé…

Quelle est la prochaine étape?

Pour les analystes de la crise congolaise, les évêques et certains autres optimistes se seraient trop vite frotté les mains, alors que manifestement, rien n’est gagné. D’une part, l’accord du centre interdiocésain vient restreindre certaines prérogatives du Président Joseph Kabila (chose qu’il n’entend manifestement pas un seul instant d’une bonne oreille) pendant cette année de la transition et vient, de plus, placer l’organisation des élections au centre des préoccupations (les mêmes élections qu’il a, à dessein, bloquées, moyennant de multiples faux fuyants).

Apparemment, la majorité présidentielle se trouve à bout de toute patience. Sa volonté de se maintenir est de plus en plus manifeste. Ou ça passe ou ça casse!!! C’est pourquoi des vraies mesures de décrispation politique tant exigées ne font toujours pas partie des préoccupations des dirigeants actuellement en fonction. Ainsi par exemple, les prisonniers politiques et d’opinions ne sont relâchés qu’au compte goutte. Et le Président qui, logiquement ne devrait plus se représenter, n’a toujours pas proposé un dauphin de son camp comme cela est d’usage en politique moderne. Par contre, à longueur de journée, dans les médias comme dans la communauté, c’est l’exhibition à dessein des (faux) indicateurs de l’amélioration du bien-être de la population, sans que cela ne se constate dans le quotidien du congolais

Loin donc de tout élan de décrispation politique, on assiste chaque jour à son contraire. L’annulation récente de l’immunité parlementaire du député Kyungu W, en vue d’accélérer sa poursuite en justice pour outrage au chef de l’état, ne pourra que susciter de nouveaux remous quand toute la vérité sera portée à la connaissance des congolais qui chuchotent tout bas ce que cet élu du Katanga exacerbé par le système Joseph Kabila a osé crier tout haut.

A quoi aura servi un deuxième dialogue si les résolutions subissent pareil sort ?

La publication des résolutions du Dialogue facilité par la CENCO à la veille du nouvel an a suscité beaucoup d’optimisme au sein de toute la communauté nationale. Mais au regard des derniers développements et de la volte-face du camp présidentiel, les espoirs pour une alternance pacifique et apaisée semblent s’envoler. Pareil durcissement abusera certainement de la patience des médiateurs, et surtout de la population qui avait encore placé un brin de confiance dans la démarche des évêques. De tous temps, les évêques catholiques ont joué un rôle déterminant dans ce grand pays à plus de 70% catholique. Mais avaient-ils bien pesé le risque en se lançant dans cette démarche pleine d’embûches face à un pouvoir déterminé à se maintenir contre vents et marrées?
Boutros Boutros Ghali n’a-t-il pas dit que lorsqu’une médiation a réussi, le médiateur disparaît mais quand elle échoue le médiateur est pris pour un bouc émissaire? Déjà certaines langues taxent ces derniers de complice ou de corrompus car leur entrée dans la danse a donné du répit à un pouvoir qui était pris en étau et au pied du mur face à des dates butoirs pour son dégagement forcé par la masse désabusée à la burkinabé. L’église catholique aura eu le mérite et le courage de tout tenter et de prendre ces risques pour tenter d’éviter de nouvelles violences destructrices et sans lendemain.

Deux Dialogues consécutifs en 3 mois: un artifice du pouvoir qui a payé gros.

D’aucuns avaient déjà prédit que ces dialogues n’avaient comme seul but de faire passer du temps, mieux d’endormir le peuple. Le Dialogue de la cité de l’OUA, placé à dessein à quelques mois de la fin du mandat présidentiel, a permis de créer de l’espoir et atténuer la menace sur le pouvoir au 19 septembre 2016. Celui de la CENCO aura lui permis au pouvoir de passer le 19 décembre - date de la fin théorique du mandat de Joseph Kabila - sans la moindre pression de la population. Et comme pour flouer les évêques, initiateurs du second dialogue (dit du Centre interdiocésain de Kinshasa), le chef de l’état nommera un Premier ministre à près d’une heure de la fin officielle de son mandat alors que le poste du Premier ministre de cette transition faisait partie des enjeux mis sur la table des négociations par l’opposition qui n’avait pas pris part au 1er dialogue. La distraction, ce sera aussi le social brandi avec emphase dans le programme du gouvernement, en vue de faire miroiter à la population un début de solutions face aux précarités des conditions de vie pour cette année 2017 électorale, pour laquelle pourtant, comble de l’ironie, le budget s’est réduit de moitié…

Encore combien de temps pour pareille stratégie de rouleau compresseur?

Difficile de prédire, pour l’instant, combien de temps cette stratégie pourra porter. La RD Congo étant un pays non seulement d’extrêmes paradoxes mais aussi des surprises atypiques. Néanmoins, analyse faite, malgré la longue patience des congolais, le pouvoir ne donne aucune impression d’en démordre. Dans son machiavélisme, il se trouve conforté d’avoir entraîné tout le monde sur un terrain où lui seul tient les commandes et contrôle les règles du jeu. Il peut convoquer des dialogues à volonté mais ne signe aucune des résolutions, comme si il n’était aucunement astreint de les respecter. Le pouvoir se trouve aussi renforcé par l’impressionnante machine répressive mise en place, avec la peur comme effet dissuasif envers la population et les mouvements des indignés… Le pouvoir médiatise habilement la mort des manifestants qualifiés d’avance d’ennemis de la paix.

Le chef peut-il être taxé d’être prisonnier de son propre camp comme ça l’a été dans certaines situations? Ou, au contraire, pour protéger les avantages acquis par sa famille biologique et politique(2), l’actuel système compte-t-il désormais sur leur indéfectible soutien pour maintenir son hégémonie au seul argument que sa chute serait aussi la leur. On est à un stade de jusqu’auboutisme.

L’urgence d’un Plan B s’impose

Pour éviter les 4 scénarios du pire (3), tels que glanés dans notre article précédent, et devant l’épuisement de toutes les voies pacifiques par le dialogue, dont la dernière en date avec les bons offices de la CENCO, et comme le doute n’est plus permis sur la mauvaise foi des acteurs politiques; un éventuel plan B devrait indubitablement savoir qu’on est en face d’un Joseph Kabila qui sait désormais que :

  • l’opposition nationale et la société civile officielle sont désagrégées et ne constituent plus une menace pour son système, bien au contraire ils courent derrière lui pour accéder aux miettes.
  • la communauté internationale a montré son impuissance face à la situation qui perdure au Burundi, en rapport avec le risque de réveiller un nouveau génocide. Par prudence, il est certain que personne ne pourra s’engager contre lui au Congo.
  • Obama et Hollande qui lui avaient ouvertement retiré la confiance sont en fin de mandat et donc ne constituent plus de menace pour lui.
  • Malgré l’hécatombe et la destruction systématique du pays, cinq ans durant, Bashar Alassad est resté jusqu’aujourd’hui le seul président de la Syrie.
  • Sassou Ngwesso, Ali Bongo et récemment Yaha Jameh de la Gambie sont restés à la tête de leurs états respectifs contre la volonté de leurs populations et d’insistantes menaces de la communauté internationale.

Les politiciens, la société civile, la CENCO, la communauté internationale restent perplexes devant la situation qui prévaut en RD Congo. Plusieurs ingrédients clairsemés dans le firmament politique de la RD Congo viennent d’estomper tous les espoirs fondés sur 2017.
Les discours et autres intentions de bonne volonté ne rassurent plus personne...


Le 5.01.2017
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(1) Ce nouveau compromis survient pour parfaire celui de la Cité de l’OUA, en octobre dernier, estimé inclusif par la majorité présidentielle et de non inclusif par l’opposition et la communauté internationale.
(2) Entendu, famille politique et biologique mais aussi tout son lobby lié aux pays voisins…
(3) RD Congo: l’issue d’un Dialogue à la croisée de l’absurde et/ou de l’impasse.

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